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Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
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5 décembre 2009 6 05 /12 /décembre /2009 01:03

Rencontre à Paris, avec Johan Harstad accompagné de son attachée de presse et de son traducteur, dans un café de la rue Mouffetard. L’auteur du fabuleux Buzz Aldrin, mais où donc es-tu passé ? a quelque chose de Mattias : timide, regard fuyant, on sent au premier abord qu’il n’est pas forcément très à son aise. Et puis l’entretien commence et il se laisse aller. La complicité qu’il a avec son traducteur, Jean-Baptiste Coursaud, facilite l’échange. Je garde un excellent souvenir de ce moment passé trop vite avec un auteur qui mérite d’être lu.

 

Buzz Aldrin est le fil conducteur dans ce roman. D’où vous vient cette fascination pour celui qui fut le deuxième à marcher sur la lune ?

J’ai toujours été fasciné par les numéros 2, pas les meilleurs mais ceux qui arrivent juste après. Et de tous, c’est Buzz Aldrin le plus connu. J’ai fait énormément de recherches sur lui : j’ai lu des livres, j’ai compulsé, amassé des documents qui existaient sur lui.

 

Quelle a été votre formation ?

J’ai commencé des études de littérature et de sciences des médias mais j’ai abandonné. Si j’ai fait ces études c’était uniquement pour bénéficier du prêt que l’on accorde aux étudiants norvégiens. Une partie est une bourse, l’autre est à rembourser. Je bénéficiais d'un prêt ce qui me permettait de continuer d’écrire.

 

Vous avez toujours voulu écrire ?

Oui, j’écris depuis l’âge de 11-12 ans et dès l’âge de 15 ans j’ai su que je serai écrivain.

 

Je vous ai demandé votre cursus parce que dans votre roman la psychologie est fortement présente. Les personnages des îles Féroé habitent dans une résidence psychiatrique et Mattias lit les diagnostics très précis des uns et des autres. Il me semblait donc que vous aviez étudié la psychologie.

Je suis ravi de l’entendre parce que ça veut dire que j’ai bien lu. Pour écrire ce passage j’ai lu un livre de 900 pages qui s’appelle Manuel de psychiatrie. Mais je n’ai pas du tout fait d’études dans ce domaine.

 

Mattias est également un personnage complexe, dépressif qui aspire à une autre vie…

C’est dû au fait que je me suis toujours intéressé à la psychiatrie et j’ai fait énormément de recherches pour l’écriture de ce roman.

 

Comment vous est venu l’idée d’introduire, dans le dernier quart du roman, un nouveau personnage, qui a fait la guerre en Bosnie, et qui lui aussi tombe en dépression après avoir fait différents actes héroïques ?

Il y a différentes raisons. D’abord quand j’écris un roman, je fais toujours un plan très précis. Tout est soigneusement composé et puis parfois on a un peu de chances. Au départ, le personnage de Carl était celui qui était le moins développé dans ce schéma que j’avais élaboré. Donc à un moment donné je l’ai introduit dans le récit en me disant, on va voir ce qui va se passer. Au début, je pensais qu’il n’aurait qu’un rôle secondaire et au final je suis très satisfait de voir l’ampleur qu’il a pris dans le récit.

 

En effet, ce personnage est très important : il est le point d’orgue dans la série de ces personnages qui veulent rester seconds.

On peut même dire qu’il intervient au plus mauvais moment d’un point de vue dramaturgique au point que mon éditrice m’avait dit « non non tu ne peux pas mettre ça, c’est beaucoup trop tard ». Mais moi, j’ai suivi mon idée et je pense qu’il intervient au bon moment. On apprend son passé au moment où les personnages n’ont vraiment pas besoin d’apprendre encore une mauvaise nouvelle. Ils en ont eu assez comme ça. Cette mauvaise nouvelle supplémentaire a au final son importance puisqu’elle oblige les autres à se sauver les uns les autres. Il faut qu’ils se soutiennent dans cette entreprise et cette mauvaise nouvelle va les renforcer dans cette nécessité.

 

Votre roman dénonce une société basée sur la réussite. Aviez-vous eu envie de montrer l’envers du décor au travers le destin de ces différents personnages ?

Ce n’est pas un roman qui s’insurge contre les gens. Chacun vit comme il veut. Et même ces gens qui veulent à tout prix réussir doivent être respectés. C’est davantage un roman qui prend la défense des gens qui veulent vivre autrement. Au début je voulais vraiment construire un roman autour d’un personnage que je considérais comme unique. Unique dans le sens où il n’y avait que lui qui ne voulait pas aller dans la lumière, qui voulait rester anonyme. Et puis je me suis rendu compte au fur et à mesure de l’écriture de ce roman qu’il y a plein de gens, comme lui, qui veulent garder leur anonymat. Je pense qu’on a tous ce désir en nous d’être vus, reconnus et de connaître le succès et en même temps le désir de ne pas être vus. Je pense que le roman est aussi une défense de ces gens qui ne sont pas dans les premiers rangs, qui ne sont pas dans la lumière et qui ont compris qu’ils ont leur place dans l’existence. J’ai travaillé plusieurs étés en tant que fossoyeur dans un cimetière, en tant que éboueur... Ca m’a permis de rencontrer tout un tas de gens qui ont des vies extrêmement riches en fait. Ca va être une évidence ce que je vais dire mais moi je pense véritablement à tous ces gens qui sont des silhouettes de leur propre vie et qui n’ont pas l’impression d’avoir de l’importance alors qu’ils en ont une.

 

Vous avez choisi de placer le décor de votre roman aux îles Féroé. Est-ce pour son côté refuge ? 

Les îles Féroé font en effet un peu office de foyer. C’est un lieu à la fois où rien ne se passe et en même temps c’est une micro société. Donc, si je devais décrire cette vie quotidienne féroïenne, je décrirais des personnes qui vont travailler dans le journal féroïen qui est lu par 5 000 personnes, je montrerais des gens en train de tondre leurs moutons ou de pécher. Et voilà, on aurait fait le tour… Et ça serait très vite très ennuyeux. J’ai passé pas mal de temps aux Féroé et il est certain que si je devais décrire le quotidien féroïen, ça revient un peu à regarder l’herbe pousser. Vous regardez une journée passer, une deuxième journée… Et il ne s’est pas passé grand chose. Chaque jour, le quotidien féroïen est une copie du précédent.
Plus sérieusement, j’ai choisi les Féroé parce que dans un contexte nordique les îles Féroé c’est non seulement le l’incarnation du numéro 2 par rapport aux autres pays du Nord et c’est surtout un vrai numéro 2 par rapport à l’Islande. Enfin, les Féroé offrent un paysage très lunaire.

 

La figure de Robinson Crusoé revient souvent au cours du récit. Y a-t-il d’autres figures aussi emblématiques qui vous ont inspiré ?

Je pense que parmi les personnages emblématiques il y a effectivement Robinson Crusoé puisque mon rêve a toujours été d’échouer sur une île déserte, de me débrouiller tout seul. Et l’autre est une chanson de Radiohead : « How to disappear completely ».

 

 
 

 

C’est un détail mais vous faites référence à un auteur norvégien que nous avons découvert l’an dernier, Dag Solstad, avec son roman Honte et dignité (traduit également par Jean-Baptiste Coursaud). Je sais qu’il a une grande renommée en Norvège. Pouvez-vous nous en dire quelques mots…

Vous êtes sûre que je l'ai cité ? (je lui montre la page…) Ah oui ! Je n’ai pas de relation particulière avec cet auteur sinon qu’il est mon voisin d’en face ! Bon… Il y a deux grands écrivains en Norvège, c’est Solstad et Jon Fosse.

Jean-Baptiste Courseau : J’ajoute que Solstad est le seul nobélisable. Quant à Jon Fose, c’est le dramaturge le plus joué en Europe. Mais on connaît mal Solstad parce que les éditeurs trouvent que ce qu’il écrit, c’est "trop norvégien", les Français n’y comprendraient rien…

 

Vous êtes vous-même dramaturge. En quoi cette activité littéraire influence-t-elle votre écriture romanesque ?

Je suis venu au théâtre par hasard. J’ai écrit ma première pièce après l’écriture du roman. Après cette pièce, on m’a proposé ce poste de dramaturge au théâtre national. Et l’écriture d’une pièce n’a changé en rien mon écriture romanesque. Si influence il y a c’est plutôt dans le sens inverse. On retrouve dans mes pièces de longs monologues. L’écriture des pièces est également très romanesque. Je pense que pour moi l’écriture de théâtre ça a davantage à voir avec le design. Quand vous êtes dramaturge, vous devez penser à tout un tas de paramètres différents. A savoir, est-ce que j’ai un metteur en scène, de la lumière, quels sont mes décors ? Autant de paramètres qui vont augmenter le coût de la pièce. Il faut être aussi vigilent à ça. Alors que lorsque j’écris un roman il n’y a que moi et le lecteur.

 

Mais en tant que dramaturge, vous continuez à écrire des romans ou c’est devenu votre activité exclusive ?

Non, en fait j’ai beaucoup travaillé pour le théâtre cette année puisque j’ai été dramaturge officiel du théâtre national d’Oslo. Il est probable que je continue encore un peu l’année prochaine mais ça s’arrête là. Je pense même que plus jamais je n’écrirai de théâtre de ma vie.

 

Ce n’était pas une bonne expérience ?

Ce qu’il faut savoir c’est qu’en Norvège, le monde du théâtre est un monde très vieillot, très suranné et moi je ne trouve pas ma place dans ce monde-là où tout est très bureaucratique. En fait, je suis ouvert à toute discipline artistique. Mais si je me rends compte que mon cœur n’est pas bien dans une discipline, ça ne me dérange pas du tout de l’abandonner. Mon cœur est auprès de la littérature. 

 

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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 21:24


A
l’occasion du Salon du livre de Montreuil, j’ai eu l’occasion de rencontrer Stefan Casta, vous savez, l’auteur du merveilleux
La Vie commence. Ce Suédois qui parle parfaitement bien l’anglais et le français, habite une ferme isolée comme son personnage Victor, mais

fait de fréquents séjours à Paris et à Sète pour écrire !

 

 

Alors que le prologue laisse penser que c’est la fille mystérieuse le personnage central de La Vie commence, il me semblait au contraire que c’est Victor qui est au premier plan…

En effet, Victor est à l’origine de l’histoire. Mais la fille et Victor sont deux personnages tout à fait distincts. La fille arrive d’une grande ville, peut-être Stockholm alors que Victor habite dans une forêt, à l’écart de l’agitation de la ville. Il rêve de partir pour écrire un roman, mener sa propre existence. Pour moi c’est un livre sur ces deux personnages différents. Mais pour moi, ce qui me semble le plus intéressant c’est le temps qu’ils vivent ensemble. Sur une année quasiment. Puis, les deux personnages échangent leur rôle : c’est Victor qui part à la ville tandis que la fille trouve refuge à la ferme.

 

Vos deux personnages ont été abandonnés. Victor a été adopté par Brigitte tandis que la fille a été placée dans une famille. Deux personnages distincts mais aux origines semblables…

Mais Victor et la fille ont beau avoir eu un début de vie semblable, ils ne cherchent pas la même chose… Victor veut s’émanciper, alors que la fille cherche la stabilité. Elle découvre la vie à la campagne, auprès des animaux. Victor veut fuir cette vie.

 

D’ailleurs, je ne suis pas d’accord avec le narrateur, Victor, qui affirme qu’il veut quitter ses parents adoptifs parce qu’il se sent étranger chez eux. Tout adolescent remet en cause l’éducation de ses parents et se sent étranger chez eux, qu’il soit ou non adopté.

Tout à fait… C’est pour cela que j’aime écrire sur les ados de cet âge car tous ressentent ce même malaise auprès de leurs parents. Je trouve cette période très intéressante.

 

Victor semble s’ouvrir au monde, non pas grâce à ses parents qui sont assez silencieux, mais grâce à la philosophie…

J’aime beaucoup la philosophie et les humanités. Pour moi, une des meilleures formes de l’humanité c’est la philo. Avec la littérature, c’est une façon de rendre compte de l’homme dans toute sa complexité.

 

C’est parce que Victor ne peut pas communiquer avec ses parents que vous avez décidé de faire de lui un auteur, qui raconte au fil des saisons, son quotidien à la ferme ?

Quand je commence à écrire, je ne connais pas encore très bien mes personnages. Au début, je ne savais pas que Victor allait devenir écrivain. Je l’ai découvert au fur et à mesure.

D’ailleurs, tous les personnages ont quelque chose qui m’appartient. Comme Victor, je vis à la ferme, je suis écrivain, etc.

 

Ainsi, quand vous commencez à écrire,  vous improvisez ?

Avant de commencer, je fais des recherches pendant plus de six mois, je prends des notes, je cherche des personnages… Et puis, quand je m’apprête à écrire, je jette tout à la poubelle, mais je la garde quand même à portée de main !! Puis je me lance dans l’aventure. Je travaille, je reprends sans cesse mon texte. Cela me prend plus d’un an. Mon objectif, quand j’écris, c’est de découvrir des choses que je ne soupçonnais pas au début.

 

Avant de commencer à écrire, savez-vous si votre roman s’adressera plutôt aux adolescents ou aux adultes puisque vous écrivez pour les deux ?

 Oui, mais je préfère écrire pour les adolescents. C’est plus excitant. Les ados sont de bons lecteurs, ils sont beaucoup plus ouverts que les adultes. Il y a hélas une frontière entre la littérature pour les ados et pour les adultes mais je voudrais la supprimer. Je voudrais que mes livres soient lus aussi bien par les jeunes que par les adultes.

 

Votre personnage, Victor, n’a pas des occupations communes aux autres ados : en automne, il chasse et le reste du temps, il s’occupe des moutons… C’est grâce à ses études qu’il s’ouvre aux autres, se fait un ami…

Pour moi, Victor m’intéresse justement parce qu’il est différent. Il est complexe. Il y a une phrase que j’aime beaucoup, que je n’ai pas écrite, reflète mes personnages : « Il y a plusieurs personnes en chaque individu ». Je veux des personnages qui ont une certaine épaisseur, qui ne soient pas lisse…

 

Pourquoi avez-vous donné une telle place aux saisons ?

J’aime la nature. Parfois je pense qu’elle est plus importante que les hommes. Dans mes livres, la nature tient une place de choix. Quand j’écris, j’essaie toujours de confronter l’homme à la nature, le faire évoluer dans un environnement, avec ses contraintes, ses caractéristiques.

 

L’histoire évolue en effet au fil des saisons et les événements sont étroitement liés à la météo.

C’est vrai. J’observe la nature, habitant moi-même dans une ferme avec des moutons et des poules. Je connais bien les saisons suédoises. J’aime parler de l’ambiance de chacune d’entre elles.

 

Votre roman est poétique et bucolique, ce qui tranche avec un certain nombre de romans jeunesse. Comment concevez-vous l’écriture jeunesse ?

Ce qui compte, ce n’est pas l’histoire mais l’écriture. Je suis très attachée aux mots et aux phrases. Je veux donner du sens à mes mots et laisser la place au lecteur. Je veux qu’il s’émeuve en lisant mes romans. Je me moque de savoir si c’est dans le coup, j’essaie d’écrire avec le style le plus abouti. Mon éditeur suédois me dit parfois que je n’écris pas pour tout le monde. Il a raison parce que je n’écris que pour ceux qui aiment lire, beaucoup.

Je recherche l’aventure littéraire. Créer un espace avec une certaine ambiance. Depuis la fin de cette aventure de La vie commence, j’entends encore mes différents personnages qui me parlent encore.

 

Vous envisagez une suite ?

Non, j’ai commencé une nouvelle aventure, beaucoup plus difficile parce que La Vie commence était le roman le plus heureux. Mon précédent roman était sombre. Il évoquait la violence, ce que je déteste et ça m’a pris trois années pour l’écrire. Après, j’avais vraiment envie d’écrire quelque chose de plus léger, optimiste, plein d’espoir. En écrivant La Vie commence, j’étais heureux tous les jours, heureux comme jamais auparavant. D’habitude, quand j’écris, j’éprouve une certaine souffrance. Je me pose des questions. Mais en écrivant La Vie commence, c’était la fête tous les jours.

 

Vous avez publié d’autres romans entre temps ?

Non, depuis 2005, où le roman est paru en Suède, je travaille toujours sur ce roman, très difficile à accoucher. Je suis tombé dans ce trou noir. Le roman est compliqué car il est sombre et je crains de ne pouvoir le finir…

Ceci dit, entre La Vie commence et ce roman, j’ai écrit des albums et des livres sur la nature, ce qui me permet de faire des pauses dans la création.

Quand j’écris un roman, je dois partir de ma ferme et louer un petit appartement à Paris ou à Sète. Je ne peux pas écrire en Suède. Je reste quelques semaines pour écrire tous les jours du matin au soir, sans interruption. Mais de retour chez moi, je mets de côté mon manuscrit et passe à autre chose. J’ai besoin de m’éloigner de mon pays pour créer.

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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 15:02

Alex Cousseau est breton. Après avoir exercé différents métiers, dont enseignant de cinéma, il se consacre aujourd’hui à l’écriture. Il est l’auteur de nombreux romans jeunesse, dont Je suis le chapeau (Rouergue éditions). Habitant donc, loin de la capitale, Alex Cousseau a accepté de répondre à mes questions par mail. Et je l’en remercie…  

 

Comment vous est venue l'idée d'un roman sur le Grand-Nord et la figure de Knud Rasmussen ?

Après avoir écrit plusieurs romans plutôt intimistes, toujours situés ici et maintenant, j'avais envie d'aller voir ailleurs, un pays et une époque que je ne connais pas. J'ai toujours été attiré par les pays du nord, et c'était pour moi un moyen d'aller au Groenland et au Canada sans payer de billet d'avion !

En fait, le Groënland s'est imposé aussi suite à des lectures "ethnologiques" et "humanistes" (Paul-Emile Victor, Jean Malaurie, pour ne citer qu'eux). J'ai alors entendu parler de Knud Rasmussen. C'était assez frustrant, parce que je n'ai pas trouvé de livre de lui traduit, seulement des extraits. Mais ça en faisait aussi pour moi un personnage mystérieux, inapprochable. D'où l'idée que mes personnages lui courent après sans jamais l'atteindre...

 

 

Vous avez été prof de cinéma... C'est donc sans doute pour cette raison que Je suis le chapeau est très centré sur Nanouk, l'Esquimau. Cependant, le lecteur peut être frustré de ne pas retrouver d'annexe sur le sujet à la fin du livre. Pourquoi avoir délaissé ce sujet en annexe ?

L'idée d'intégrer le film "Nanook"(qui date de 1922) m'est venue au moment où la période (les années 1920) s'est imposée dans mon roman. J'aime bien écrire sur des "passages", des "basculements", et pour le Groënland, ces années-là sont importantes, il y a un avant et un après, pour plein de raisons (identitaires, politiques, économiques, religieuses...) qui, je crois, sont évoquées ou rapidement expliquées dans le roman. Maintenant, c'est vrai qu'il y aurait pu avoir plein d'annexes "pédagogiques" en fin de livre (pas seulement sur le film "Nanook", mais sur le Grand Nord en général). En même temps, mon livre n'est qu'un modeste roman, une fiction, et ce qui m'intéresse le plus chez ce peuple (comme chez n'importe quel peuple) ou dans ce film (comme dans n'importe quel film), c'est son imaginaire. J'ai modestement essayé de mélanger tous ces imaginaires au mien...

 

 

Et Knud Rasmussen...

Et même réponse ! Sans compter qu'encore une fois, je connais très peu de choses sur Knud Rasmussen, que je n'ai jamais lu ses livres, et même pas vu le film qu'il a co-réalisé ("Les noces de Palo") ! J'aurais été bien prétentieux de jouer au savant dans des annexes ! Au contraire, je voulais des annexes "décalées" (et courtes), avec lesquelles le lecteur peut s'interroger sur "ce qui est vrai et ce qui est faux" dans le livre. Ma réponse, c'est qu'il n'y a pas grand-chose de vrai, et pas grand-chose de faux !

 

 

Souvent, vos héros ont un handicap. Ici, Wanda est muette. Est-ce à partir de cette "contrainte" que vous imaginez vos personnages et surtout l'intrigue ?

C'est vrai qu'avant d'arriver au Groënland, j'avais déjà pensé le personnage de Wanda, que je voyais jeune, sauvage, muette, et têtue. Je l'avais d'abord fait naître dans un lieu imaginaire, une petite île qui n'existe pas, au milieu du Pacifique. Même si beaucoup de mes personnages ne sont pas très bavards (je ne le suis pas moi-même, heureusement que cette interview est écrite !), le fait que Wanda soit muette me plaît bien, à l'époque du cinéma muet. Je ne crois pas que l'intrigue soit venue de ce mutisme, mais ça a pu y contribuer. J'aime bien l'idée qu'il y a des choses qui ne s'expliquent pas. Wanda ne peut pas s'expliquer (ou difficilement !), puisqu'elle est muette.

 

 

Vous écrivez des romans pour la jeunesse... Pourquoi avoir fait ce choix ?

J'écris ce que je peux. Je fais assez peu de choix, j'aime bien me laisser porter par la vie, et là il se trouve que je me suis laissé porté par l'écriture pour la jeunesse (romans et albums). Petite précision quand même, premièrement mes "romans pour la jeunesse" s'adressent aussi aux adultes, et deuxièmement j'écris aussi des textes plus "adultes" (surtout des nouvelles), mais aucun éditeur n'en veut, il paraît que "ça ne se vendrait pas". Il ne faut pas oublier ça : les éditeurs ne sont pas là pour publier les textes qu'ils aiment, mais pour publier les textes qu'ils aiment qui ont a priori une chance de se vendre.

 

 

 N'avez-vous pas envie d'écrire pour les adultes ? Quelle différence établissez-vous entre la "littérature jeunesse" et la "littérature adulte" ?

J'ai déjà un peu répondu... J'ai juste envie d'essayer d'écrire pour tous, et de parler à tous, pas comme ces nombreux adultes qui à table parlent "entre adultes", et de temps en temps s'adressent aux enfants, mais toujours de façon moraliste, ou alors niaisement. Pour moi "littérature jeunesse" et "littérature adulte" ne signifient pas grand-chose. Pas plus que 'littérature" tout court. Pas plus que "jeunesse" ou "adulte" tout court. D'après moi ce sont des tiroirs dans lesquels la plupart des gens ne rentrent pas. C'est juste plus pratique pour ranger, mais j'aime bien le désordre !

 

 

Quelles sont les influences littéraires ou culturelles qui nourrissent votre imaginaire ?

Il y en a beaucoup, et de très diverses... Mais pour ce livre en particulier, j'ai envie de dire que les plus évidentes sont celles de la fin de mon adolescence ou de mes vingt ans : le cinéma muet (l'étrange, le mystérieux), le burlesque (le comique, la poésie et la tristesse de Buster Keaton, par exemple, ou de Boris Vian), les grands romans d'aventure (piraterie et compagnie), mais aussi tout ce qui s'intéresse aux gens, ce que j'ai envie d'appeler "poésie documentaire" (qu'il s'agisse d'un film, d'un livre ethnologique, ou même d'un livre philosophique). Je viens de lire la "Lettre à un adolescent sur le bonheur", de Franco Ferrucci, et outre que c'est un livre remarquable qu'on devrait lire à n'importe quel âge, je ne peux pas m'empêcher de penser que mes personnages, Wanda et Oukiok, l'ont certainement lu avant moi ! En parcourant la planète à la recherche du propriétaire d'un mystérieux chapeau, ils se posent tout simplement la seule question valable, celle savoir de qui ils sont, à quoi ils servent, et quelle place ils ont dans ce monde.

 

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7 septembre 2009 1 07 /09 /septembre /2009 11:43

@Gaïa

Liliana Lazar est l’auteur d’un premier roman très prometteur, Terre des Affranchis. C’est en juin dernier que j’ai eu la chance de l’interviewer autour d’un café dans une brasserie parisienne. Rencontre.

 

Votre roman se passe à Slobozia en Roumanie, village où vous avez passé votre enfance. En quoi Terre des Affranchis est-il un roman autobiographique ?

Je retranscris les lieux, l’atmosphère, les coutumes… Mais j’y mêle fiction et réalité. Comme dans mon roman, il existe un lac, qui n’a pas de nom, craint par les gens qui affirment qu’il ne faut pas s’en approcher. Il y a un mystère autour de ce lac. Il y a souvent du brouillard, quelque chose se dégage de ce lac qui se trouve en plein milieu de la forêt.

Dans mon village il y a bien eu des batailles avec les Turcs. Un monastère a été édifié suite à une victoire contre les Turcs. En Moldavie, il y avait de nombreuses guerres.

Dans mon roman, j’avais envie de mettre en contexte l’histoire, pour mettre le lecteur dans l’ambiance.

Ensuite, j’avais envie aussi de raconter tous les rituels propres à la Roumanie. Par exemple, les scènes d’enterrement sont réalistes. Quand quelqu’un meurt, il faut prendre garde de bien tuer les Moroï [les esprits].

J’ai entendu ces légendes tout au long de mon enfance par ma mère et ma grand-mère. J’ai été imprégnée de ces histoires.

 

Dans votre roman vous expliquez à la fois ce qui s’est passé sous Ceausescu et vous racontez une histoire merveilleuse (loup garou, fantômes, forêt magique, sorcier, monstres...), avec des légendes. Est-ce que vous vous sentez proche de ce que produisent les auteurs français ?

En effet, je ne voulais pas raconter une histoire franco-française et encore moins écrire un roman réaliste. Les légendes, le merveilleux sont très présents dans la vie quotidienne des Roumains. Mon roman est le reflet d’une réaliste, celle de mon village, même si aujourd’hui ça a beaucoup changé et que la génération actuelle n’a plus cet ancrage dans le passé. Mais les vieux de mon village, s’ils lisent ce livre, se reconnaîtront dans ces pages.

 

Aujourd’hui les gens sont moins superstitieux que ce que vous racontez dans le livre ?

Oui aujourd’hui les gens sont moins superstitieux parce que les traditions se perdent. Mais c’est encore d’actualité dans les villages.  

 

Est-ce votre premier coup d’essai ou bien avez-vous publié d’autres textes précédemment ?

Non, c’est mon premier coup d’essai. J’avais bien sûr écrit quelques bouts de textes mais jamais rien d’abouti. D’ailleurs avant d’arriver en France, je ne pensais pas pouvoir être publiée. Je suis arrivée en France il y a bientôt treize ans et c’est vrai qu’ici j’ai compris que tout le monde avait sa chance alors qu’en Roumanie, j’avais l’impression que l’écriture appartenait à une élite. En France, j’ai senti une liberté.

 

Justement dans Terres des affranchis vous décrivez une Roumanie assez noire. Il y a beaucoup de pourris, de corrompus. Heureusement quelques personnages sortent du lot mais ils font figure d’exception.

En fait, le village est un lieu fermé. Je n’avais pas envie d’en donner une image aussi noire mais au fur et à mesure de l’écriture, mes personnages ont évolué. Même si j’avais préparé la trame du roman, j’ai fini par m’écarter de mon idée de départ.

 

Le Mal triomphe à la fin…

Oui et non, peut-être que Victor changera son destin. Je lui laisse encore une chance. On ne sait jamais…

 

Sans révéler la fin, Victor, véritable tueur en série, est toujours protégé par quelqu’un qui le soutien dans ses actes maléfiques.

Mais à la fin, je lui accorde une issue de secours. Peut-être que finalement, il fera le bon choix… C’est vrai que je n’aime pas les personnages négatifs marqués. Mais Victor est tellement fort que c’est lui qui mène l’histoire. Mais n’oublions pas l’ermite Daniel qui est le personnage positif par excellence… Il y a également le bon prêtre qui contrebalance le mauvais, le policier qui sous ses airs de petit fonctionnaire collaborant avec le régime, se pose des questions, il a un cheminement personnel. Eugénia la sœur de Victor est quelqu’un de bon et de droit, qui essaie de le protéger. Comme les gens vivent entre eux, il suffit qu’il y en ait un qui dirige le groupe pour que les autres le suivent. Quand le prêtre qui collabore au régime de Ceausescu arrive au village, il a des choses à cacher, pourtant les gens ne se posent pas de questions et suivent ses prêches et agissent de façon surprenante…

 

A ce sujet vous faites dire à l’un de vos personnages, « la démocratie c’est nous »…

Les gens n’ont pas l’information et l’éducation pour passer d’une dictature à une démocratie, ils ont l’impression que tout est permis. Ils ne craignent rien, font justice eux-mêmes…

 

C’est ce que vous avez montré également par rapport à la religion…

Je voulais surtout montrer que l’église abrite de bonnes et de mauvaises personnes. Elle est à l’image des gens qui la fréquentent. D’où mes deux prêtres antagonistes : l’un au service du Bien, l’autre du Mal. C’est l’administration qui a placé ce dernier prêtre dans ce village pour contrôler les gens. Il fallait miner l’église de l’intérieur. Comme ce sont des gens très isolés, ils ne se rencontrent qu’à de rares occasions, des fêtes ou à l’église le dimanche. Mais ils échangent peu. Pourtant, il y a beaucoup de choses qui arrivent de l’extérieur : un nouveau régime, un nouveau prêtre, l’ermite Daniel… Les gens se méfient des étrangers : Daniel serait un être maléfique puisqu’on ne sait pas d’où il vient. Il faut donc le faire partir ou le faire disparaître…

 

Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec la Roumanie ?

Ma famille habite encore là-bas, donc j’y retourne souvent. Je suis très nostalgique et très attachée à mon pays même si certaines choses ne me plaisent pas.

 

Avez-vous envie d’écrire un nouveau roman sur votre pays ?

Oui, j’ai vraiment envie de continuer à raconter l’histoire de mon pays. Dans ce premier livre, j’ai abordé beaucoup de thèmes et raconté les coutumes, l’atmosphère, l’Histoire pour permettre au lecteur de s’immerger dans le texte et de comprendre la mentalité des personnages.

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27 août 2009 4 27 /08 /août /2009 12:26




 

Myriam Chirousse est un jeune auteur, d’un premier roman intitulé Miel et Vin (Buchet-Chastel). J’ai fait sa connaissance virtuellement il y a près de deux ans, quand je préparais une enquête sur les agents littéraires. L’auteur a eu en effet recours au service de Virginia Lopez-Ballesteros.

 

Mais là n’est pas le plus important. Son roman est une vaste fresque romanesque qui se situe pendant la Révolution française dans le Périgord. Une enfant, Justine est abandonnée puis recueillie par un inventeur complètement loufoque, Guillaume de Salerac. Elle grandit ainsi sans connaître son histoire. Un jour, avide d’aventure, elle monte à bord de la montgolfière de son oncle, Guillaume et atterrit chez un voisin dont le fils, Charles de l'Eperai, est un être étrange. Judith se laisse séduire : une histoire passionnelle et tragique commence tandis que le peuple français gronde…

Voici en quelques mots l’histoire tumultueuse de Miel et Vin.

 

Myriam Chirousse a accepté de me faire entrer dans son atelier d’écriture et de me donner les clefs de son roman lors d’une interview (jusqu’à 13 min’10). Elle explique également comment elle allie cette activité à celle de la traduction et comment elle appréhende la traduction de Miel et Vin en espagnol (de 13min’10 à 17 min’20) et enfin pourquoi elle a eu recours à une agence littéraire (à partir de 17min’10).

 

Je la remercie encore une fois du temps qu’elle m’a accordée ainsi que toute l’équipe de Buchet-Chastel.

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17 juin 2009 3 17 /06 /juin /2009 12:20

Le 19 août prochain sort un très beau roman, Terre des Affranchis d’une jeune roumaine francophone : Liliana Lazar. Sans vous révéler dès à présent la trame, je puis vous annoncer qu’il s’agit d’une sorte de conte initiatique très dépaysant. L’histoire se passe dans un petit village en Roumanie, sous Ceauşescu. Il sera question de meurtres, de viols mais aussi de rédemption et de forêt merveilleuse. Je ne vous en dis pas plus pour le moment…

Je vous propose d’entrer dans les coulisses de la publication de ce livre. Liliana Lazar et son éditrice, Susanne Juul (Gaïa) ont accepté de me raconter cette aventure.

 

Comment avez-vous eu l’idée de vous adresser aux éditions Gaïa ?

Liliana Lazar : En fait au début, comme presque tout le monde, j’avais tenté de m’adresser à de grandes maisons d’édition. Je n’avais pas fait de tri si bien que j’ai envoyé un peu mon livre à n’importe qui.

Susanne Juul : Nous, on publie peu de littérature française. Mais en recevant ce manuscrit, on a aimé le fait qu’il ne ressemble pas du tout aux romans à la française. On a envie de faire de la littérature française, mais pas comme tout le monde. On veut proposer des livres dépaysants.

L.L. : Ensuite, j’ai regardé sur Internet les différents catalogues des maisons d’édition… Mais j’ai fait ce qu’il ne fallait pas faire : imprimer quarante exemplaires et les envoyer comme ça sans vraiment savoir à qui…

 

S.J. : Est-ce que tu as eu beaucoup de réponses ?

L.L. : Une dizaine, mais seulement trois ou quatre réponses personnalisées. Elles venaient toutes de la part de petites maisons.

S.J. : C’est vraiment une grosse difficulté de répondre aux auteurs. Nous, au début, on se disait qu’on allait traiter le mieux possible les auteurs qui nous envoient un manuscrit. On leur renvoyait un courrier personnalisé. Mais très vite, on a été dépassés par les événements parce que les auteurs répondaient à nos lettres et attendaient une réponse puis commentaient … On ne pouvait plus suivre, donc assez rapidement on ne pouvait plus répondre. Maintenant, on envoie des lettres d’accusé de réception comme ça les auteurs savent que l’on a bien reçu leur manuscrit. Mais on ne s’étend pas du tout sauf, et ça a été le cas avec Liliana, lorsqu’on reçoit un manuscrit vraiment intéressant mais qui mérite d’être retravaillé.

 

Liliana, vous n’avez donc pas reçu une réponse positive tout de suite de Gaïa. Vous avez dû retravailler votre texte ?

L.L. : oui. En fait, j’avais envoyé comme ça mon manuscrit, en pensant que ça passerait… Et je n’avais pas compris que si je le retravaillais il avait des chances d’être publié.

S.J. : Quand on répond aux auteurs, on dit ce qu’on a aimé et on explique ce qui ne va pas, pourquoi on ne peut pas publier en l’état leur texte. Libre à l’auteur de faire ensuite ce qu’il veut.

L.L. : J’ai reçu deux réponses vraiment personnalisées. Mais j’ai laissé mon manuscrit dans un tiroir. Après je me suis dit que c’était dommage d’abandonner…

S.J. : Les réponses que tu as eues comportaient-elles les mêmes réserves que les nôtres ?

L.L. : Oui. En fait, on me reprochait d’aborder trop de thèmes à la fois. Le lecteur était un peu perdu. Mais j’ai retravaillé mon manuscrit me rendant bien compte que je voulais trop en faire. J’ai consulté pas mal de bouquins qui parlaient des manuscrits et des éditeurs. J’ai été attentive aux explications concernant le fait que l’on publie ou non des livres. Les erreurs à éviter. J’ai retravaillé la trame comme le style. Ca m’a pris des mois. J’ai réussi, en réécrivant mon texte à aller à l’essentiel. Ca ne sert à rien de vouloir écrire une page pour dire une chose. Parfois, quelques mots suffisent.

S.J. : En tout cas, quand Liliana a renvoyé son manuscrit, on l’a relu et on l’a dévoré. On a eu envie de le publier.

 

Une vidéo sur le site des éditions Gaïa : c'est ici

 

Terre des affranchis, Liliana Lazar, Gaïa, 197 p., 19 août 2009

 

 

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4 juin 2009 4 04 /06 /juin /2009 10:01

 

A l’occasion de la sortie de Darling Jim en France, Christian Mørk a passé quelques jours à Paris. J’en ai donc profité pour le rencontrer et lui poser toutes les questions que son parcours ainsi que son roman m’inspiraient.

Je le remercie chaleureusement d’avoir fait cette interview en français.

 


Vous êtes danois mais vous écrivez en anglais. Pourquoi ?

Je vis aux Etats-Unis depuis 22 ans, maintenant j’ai 43 ans. J’ai passé la moitié de mla vie en Amérique. C'est donc beaucoup plus facile d’imaginer cette histoire en anglais parce que c’est comme ma langue maternelle et surtout les personnages que j’ai inventés existent dans un univers anglais, pas très danois.  Quand j’étais en Irlande pour faire mes recherches sur le livre, c’était de toute façon nécessaire que je parle anglais. Les faire en danois n’aurait pas été pratique. Je n’utilise le danois que lorsque je traduis mes livres.

 

Vous avez été journaliste. Dans quel domaine ?

Celui du film car j’ai été producteur à Hollywood, pendant 12 ans. Ensuite, j’ai été journaliste pour le New York Times. J’ai fait des interviews avec des réalistes,n des comédiens…

 

En lisant votre roman Darling Jim, on ressent ces deux influences : le goût pour l’enquête et le cinéma…

Darling Jim est comme un film pour moi. Tous les chapitres sont construits comme une séquence de cinq pages chacun. C’est à cause de ma terrible expérience à Los Angeles où j’ai appris à écrire des scénarios.  C’est automatique pour moi d’écrire ainsi.

 

Vous avez complexifié votre narration en introduisant des journaux intimes…

C’est quelque chose que j’ai un peu fait par hasard…  Je me demandais comment agencer mon roman de façon à ce qu’il ne soit pas chronologique, qui commence avec la fin. Quelque chose d’original. Plus comme un film que comme un livre…

L’histoire que Jim raconte est une ancienne légende irlandaise que j’ai essayé de combiner avec un polar moderne et une histoire d’amour. Ce roman s’inspire d’un film que j’adore : Rachomone de Kurosawa dans lequel on raconte la même histoire trois fois de différents points de vue.

 

Il semble que Niall qui fait le lien entre ces différentes histoires n’est qu’un prétexte, un outil pour introduire les différents récits…

Absolument ! Il est l’excuse pour mettre le lecteur en situation.

 

Peut-on aller jusqu’à dire que la manière dont il trouve le premier journal intime d’une des sœurs Walsh n’est pas du tout naturelle ?

Je n’ai pas respecté les règles littéraires. J’ai essayé d’être le plus visuel possible. De plus, Niall est un anti-héros. J’en avais besoin, comme dans les légendes arthuriennes.

 

Il y a une grande différence de ton et d’écriture entre les journaux et les récits de Jim racontant les légendes irlandaises…

Je suis danois : on retrouve ces types de légendes. J’essaie de ne pas faire de la fantaisy à la Harry Potter qui ne me semble pas naturelle…  J’ai essayé d’écrire un livre qui peut être lu à n’importe quelle époque, moderne et authentique.

J’ai surtout essayé de ne pas être trop grandiloquent dans les récits légendaires. J’ai voulu faire un roman qui, malgré ses trois registres (journaux intimes, polar et légende), soit naturel.

Il m’a été très difficile d’imaginer une jeune femme irlandaise de 22 ans écrivant son journal intime. Pour parvenir à écrire ce roman, j’ai donc dû m’installer trois mois en Irlande.

 

Vous avez passé trois mois à écrire ce roman ?...

En fait, à partir du moment où je me suis installée en Irlande, j’ai écrit tous les jours jusqu’à la fin du projet.  Mais j’ai passé de longues années à méditer ce livre. C’est en 2000 que j’ai trouvé ce fait divers. J’ai lu ensuite beaucoup de livres sur le sujet. Une fois en Irlande, j’ai écrit d’une traite mon roman, cinq pages par jour.

 

Vous vous êtes installé en Irlande spécialement pour écrire ce roman ?

Oui, j’avais besoin de créer un livre authentique parce que je ne suis pas irlandais. J’ai écouté les gens se parler… Après avoir fini Darling Jim, je l’ai montré à mes amis irlandais qui m’ont dit que c’était écrit comme un irlandais. C’était parfait : j’avais atteint mon but.

 

Il y a deux frères liés à la légende et trois sœurs tuées par leur tante. Parmi elles, il y a également des jumelles. Pourquoi ne pas avoir développé ce thème ?

Pour moi, il y avait déjà beaucoup de thèmes et de genres. Je ne voulais pas embrouiller le lecteur et surtout concentrer son attention sur l’histoire tragique des trois sœurs. Le sujet du roman est la loyauté entre elles. Elles sont troubles c’est vrai mais après avoir fini le livre, je me suis rendu compte combien je les aimais comme des sœurs aussi. C’est une histoire tragique détruite par l’amour.

 

On peut lire ici et là que votre livre est terriblement violent. Qu’en pensez-vous ?

Je ne crois pas. Il s’agit d’une histoire d’amour. C’est un thriller bien sûr mais qui n’est pas si sanglant que cela. C’est une histoire symbolique. Mon objectif était de parler des relations passionnelles entre Jim, les sœurs et la tante. Je n’ai rien montré de violent, ou très peu. J’ai coupé toutes les scènes sanglantes. J’ai utilisé une technique faite au cinéma de montrer sans montrer. Cela me semble beaucoup plus intéressant. C’est au lecteur d’imaginer la scène, c’est n’est pas à moi.

 

Vous dites avoir écrit cinq pages par jour. Vous aviez un plan près de vous ?

Tout à fait ! D’abord je fais une longue chronologie. Après, j’écris mes cinq pages… Je suis mon plan comme s’il s’agissait d’un synopsis.

 

Comme ce roman est construit comme un film est-ce qu’il est prévu qu’il soit adapté au cinéma ?

Non. Si quelqu’un veut le faire, très bien. Qu’on me donne la place pour le cinéma, j’y vais. Mais après avoir passé 12 ans à Hollywood, je n’ai vraiment pas envie de retenter l’expérience. Maintenant, je veux écrire des histoires sans penser que ça pourrait devenir des films. Je veux rester à ma place d’auteur. Je ne veux pas m’éparpiller contrairement à pas mal d’auteurs qui ont envie de tout faire à la fois. Je connais trop le monde de Los Angeles, ça coûte trop cher : mon livre sera dénaturé et je connaîtrais trop de compromissions.

Mais en tant que spectateur, je serai très content de voir mon film adapté.

 

Comment vivez-vous votre double appartenance aux Etats-Unis et au Danemark ?

En fait, au Danemark, on n’a pas le droit d’avoir la double nationalité. J’ai gagné la carte verte il y a très longtemps déjà. Depuis, je fais des allers-retours entre les deux pays. Dans les mois à venir, je vais aller au Vietnam pour écrire mon prochain roman. Ensuite, j’irai en Equateur.  Je prends des notes dans la rue, j’écoute les gens…

 

Vous avez toujours besoin de vous rendre dans les pays qui vous servent de sujet à vos romans ?

Oui, car dans un monde avec Google, c’est difficile de faire quelque chose d’authentique. Tout y est uniformisé.  Si on veut écrire quelque chose d’original, il faut séjourner dans le pays en question. C’est peut-être ma discipline danoise…

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5 mai 2009 2 05 /05 /mai /2009 11:50

Robert Littell est le père de Jonathan Litell, mais pas seulement. Il est surtout l’auteur de nombreux romans d’espionnage qui ont connu un succès international.  En avril dernier sortait aux éditions Baker Street un nouveau livre, L’Hirondelle avant l’orage, racontant l’existence tragique du poète russe Ossip Mandelstam. Rencontre.

 

Vous vous définissez comme un « vagabond mondial »… Aujourd’hui, vous vivez entre le Maroc et le Lot. Pourquoi ce goût pour le voyage ?

Je pense en fait que cela a un rapport avec le fait d’être écrivain, le romancier à la recherche de nouveaux horizons, de nouvelles expériences, d'une nouvelle terre à fouler sous ses pieds pour nourrir de nouveaux projets d'écriture.

 

Ecrirez-vous sur ces régions du monde ?

Pas nécessairement, du moins, ce n'est pas la raison pour laquelle je voyage autant. Mais à deux reprises, inspiré par les lieux, j'ai choisi comme cadre de mon roman l'endroit où je me trouvais. La première fois c’était au Nouveau Mexique aux Etats-Unis, où les indiens et leur civilisation, en particulier les Apaches, m'ont littéralement conquis [Le Fil rouge]. La seconde fois c’était à Jérusalem. Là encore, j'ai été tellement plongé dans le problème des Palestiniens et des Juifs que j'en ai fait le sujet d'un roman [Les Enfants d’Abraham].

 

Autrefois grand reporter spécialiste des pays de l'Est et du Moyen Orient et depuis auteur de romans sur les mêmes sujets… Pourquoi êtes-vous demeuré fidèle à ces thèmes journalistiques dans vos fictions ?

Je ne pense pas que cela se soit passé ainsi. En tant que journaliste, j'ai été conduit à rédiger des articles sur l'Union soviétique et l'Europe de l'Est et quand j'ai abandonné le journalisme et que j'ai commencé à écrire de la fiction, j'ai fini par traiter les mêmes sujets. Peut-être que cela a quelque chose à voir avec mes racines - mes grands parents des deux côtés de ma famille étaient des juifs de Vilnius qui ont émigré en Amérique vers 1885 - si bien que la Russie - cette partie du globe - est dans mes gênes.

 

L’Hirondelle avant l’orage se présente sous la forme d’un roman choral. Vous apparaissez comme un journaliste silencieux et anonyme qui poserait des questions à ses interlocuteurs…

Oui, c'est exact. Peut-être que je reviens ainsi à mes débuts journalistiques. Progressivement, au fur et à mesure que le roman avance, le lecteur réalise que les différents personnages - des figures historiques, des personnages de fiction - parlent à quelqu'un. C'est seulement à la fin du livre - dans la partie intitulée « épilogue » - que le lecteur réalisera que c'est l'auteur, Robert Littell qui, sur un plan fictionnel, a dirigé ces interviews pendant toutes ces années.

 

Comment êtes-vous parvenu à trouver le ton et le style que vous avez attribué à des personnages aussi célèbres que Pasternak ou Mandelstam ?

Je suppose que ce doit être une question d'empathie. Un romancier met toujours une part de lui-même dans les personnages à qui il donne vie. Ceci est plus ou moins difficile selon les personnages. Des romanciers décrivant des personnages féminins peuvent avoir plus de difficultés à ressentir de l'empathie pour elles car leur vécu et leur mental d'homme est très différent de ceux d'une femme. Si les voix de ce livre sonnent juste, cela a sûrement quelque chose à voir avec le fait que je pense à ce livre depuis 30 ans, depuis le jour où j'ai eu l'honneur de rencontrer Nadejda, la veuve du grand poète Ossip Mandelstam, à Moscou, en 1979, une année avant sa mort.

 

Vous avez lu beaucoup de documents historiques sur cette période trouble. Et il y a eu 30 ans entre votre visite chez l’épouse de Mandelstam et la publication de L’Hirondelle avant l’orage. Comment avez-vous procédé pour écrire ce roman sur une si longue durée ?

L'idée qu'un jour j'écrirais quelque chose sur ces personnes étonnants m'est sûrement arrivée lorsque j'ai rencontre Nadejda à Moscou. Ensuite, j’ai mis beaucoup de temps à écrire ce livre parce qu’il m’a manqué de courage - je craignais ne pas avoir suffisamment de métier pour traiter d'un sujet et de personnages aussi proches de moi.

 

Pourquoi avez-vous eu envie de vous pencher sur cette période de l’histoire en Russie ?

La période de Staline - de la mort de Lénine en 1924 à la mort de Staline en 1953 - est certainement une des époques les plus fascinantes de l'histoire russe. Ce qui me paraît étrange, c'est tout ce temps qu'il a fallu au monde pour comprendre à quel point Staline était un monstre. Il a fallu par exemple l'invasion de la Hongrie par les Soviétiques pour que le Parti communiste français sorte de sa torpeur. Ossip Mandelstam, en revanche, a véritablement compris qui était Staline en 1934 et l'a écrit.

 

Dans L’hirondelle avant l’orage, on a l’impression que c’est Nadejda qui encourage Mandelstam à composer des poèmes toujours plus libres…

Non, je n'ai pas cette impression là. Mon sentiment est qu'elle a très certainement soutenu son mari en courant de grands risques personnels lorsqu'il était intellectuellement sur la corde raide (et physiquement quand il fut exilé pendant trois ans, elle l'a volontairement accompagné en exil).

Nadejda et Ossip étaient tous deux des intellectuels anti-staliniens. Elle a très certainement aidé son mari lorsqu'il est sorti de l'oubli en 1934.

 

Le personnage de Zinaïda a-t-il vraiment existé ? Est-ce à cause de cette femme, comme vous le suggérez, que Mandelstam a été arrêté ?

Zinaïdea est un mélange. Ossip croyait, comme il est dit dans le livre, que rien ne peut nourrir plus la poésie que l'érotisme. Et il a eu au cours de sa vie quelques maîtresses. Il a eu une histoire d'amour si intense avec une actrice en 1933 qu'il a dit à son amie poétesse Akhmatova qu'il se serait enfui avec elle s'il n'avait pas été marié à Nadejda. Ils étaient ce qu'on appelle aujourd'hui un couple libre. Elle aussi avait ses propres histoires d'amour et ils se partageaient parfois leurs amants mais rien de cela n'enlevait la dévotion qu'ils ressentaient l'un envers l'autre.

 

Dans certains de vos entretiens, vous dites que Fikrit est un personnage purement fictif qui représente le peuple russe suivant jusqu’au bout Staline… Pourtant vous faites de lui un crétin, sans cervelle, sans recul…

Je ne suis pas d'accord sur ce terme de crétin. C'est un homme noble et digne, aux racines paysannes (comme la plupart des russes à cette époque-là) qui voyait en Staline le père de la Nation, qui croyait au communisme (même si vraisemblablement, il était incapable d'expliquer ce que cela représentait), qui pensait qu'il travaillait pour créer un monde meilleur que celui proposé dans les pays capitalistes. On doit se souvenir qu'à la mort de Staline, en mars 1953, des millions de Russes sont sortis dans les rues en pleurs. Sikrit aurait certainement fait partie de ceux-là.

 

Pourquoi Staline, après avoir gracié Mandelstam, revient-il sur sa décision ?

Je pense que lorsqu'Ossip a écrit la seconde ode à Staline, il espérait que cela le sauverait lui et Nadejda. Mais il n’a pas pu s'empêcher d'y mettre des choses qui faisaient écho à sa première épigramme insultante. Dans la seconde rencontre imaginaire entre Staline et Mandelstam, Staline, comme un professeur de poésie disséquant un poème, le met en avant. En tout cas, comme Akhmatova le raconte à Mandelstam quand elle lui rend visite en exil, il était fou de retourner à Moscou (sans permis de résidence et sans résidence). C'était une époque où les intellectuels, les artistes et les écrivains étaient arrêtés par dizaine de milliers. Mandelstam aurait pu être arrêté par un policier zélé désireux de devenir célèbre bien qu'il soit peu probable que quelqu'un qui soit aussi connu que Mandelstam puisse avoir été arrêté et condamné à un exil en Sibérie sans l'approbation de Staline.

 

Comment expliquez-vous l’attitude de Staline à l’égard des poètes ?

C'est ce qui fait de Staline un personnage intéressant. D'un côté, c'était une brute capable d'exterminer des populations aussi bien que de tuer ses rivaux et collègues à l'intérieur du parti. Il avait cependant des racines paysannes qui le mettaient en contact avec la réalité. Il devait avoir compris que les poètes qui acceptaient d'écrire une ode à sa gloire, produisaient un art sans valeur et que seul le poète qui refusait, comme ce fut le cas de Mandelstam, pouvait produire une réelle oeuvre d'art qui donnerait au dictateur l'immortalité qu'il recherchait. Staline avait un vrai amour pour la poésie : lorsqu'il dévalisait les banques à Gori pour alimenter financièrement les Bolcheviks de Lénine et leur révolution, il écrivait et publiait dans des journaux locaux des poèmes qui étaient considérés comme relativement bons.

 

Grâce à votre livre, on comprend combien à cette époque, la poésie en Russie était importante. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Les russes ont eut pendant longtemps une relation particulière avec leurs poètes. Comme Ossip le dit dans mon livre, c'est un pays où les gens ont été assassinés pour lire de la poésie et les poètes ont été tués pour l'écrire. En Russie, un poète qui fait une lecture publique de sa poésie pourrait remplir un stade de football. En Amérique ou en France, le poète serait content de remplir une petite salle. Il y a quelque chose dans l'âme russe qui élève les poètes au plus haut de l'échelle des valeurs sur le plan artistique.

 

 

 

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28 avril 2009 2 28 /04 /avril /2009 12:15

Marc Pautrel blogue depuis quelques années déjà… D’abord de façon anonyme, puis sous son véritablement nom, il nous livre ses réflexions de lecteur et d’écrivain. Il consacre ses journées à ces deux activités… Son beau récit Je suis une surprise vient de paraître aux éditions L’Atelier In8, mais pour moi, il demeurait encore une énigme. Aussi, a-t-il accepté d’assouvir ma curiosité. Rencontre…

 

Tu t’es fait connaître sur la toile, en 2006 je crois, avec un blog anonyme que tu avais baptisé : « La Littérature ». Pourquoi le voulais-tu anonyme ? Et surtout qu’attendais-tu de cette expérience ?

 

Il a en fait démarré en 2005 mais c’est tellement loin que je ne sais plus exactement pourquoi j’ai commencé ce blog. Je me souviens juste qu’il était anonyme parce que je ne voulais pas qu’il interfère avec mes envois de manuscrits pour mon deuxième livre. J’ai eu raison d’ailleurs, car ce blog anonyme a été immédiatement très lu. Je crois qu’à un moment en 2006 la fréquentation est montée à 15000 visiteurs uniques par mois. Aujourd’hui, mon blog actuel a tout juste la moitié de visiteurs par mois. L’anonymat excite la curiosité.

 

Est-ce la signature avec Gallimard et l’Atelier In8 qui t’a décidé à révéler ton nom et à créer un nouveau blog, bien moins satirique sur l’édition que le premier ?

 

Non, j’ai ouvert mon blog actuel sous mon vrai nom mi-2007, bien avant de signer avec In8 : c’est François Bon qui suivait ce blog et que j’avais contacté par mail, qui m’a convaincu de laisser tomber le blog anonyme. Par ailleurs, je n’ai signé chez Gallimard que fin 2008.

 

« La Littérature » n’est plus en ligne mais je me souviens que tu te plaignais du déséquilibre dans la répartition des gains entre l’éditeur, l’auteur et le diffuseur. As-tu changé d’avis depuis ?

 

L’économie du livre, c’est toute une histoire, c’est un monde à la Lewis Carroll ! Evidemment, qu’il y a un déséquilibre flagrant dans la répartition du prix du livre. Sur un livre à 10 €, le libraire perçoit environ 3 €; le diffuseur/distributeur environ 2 €; l’éditeur perçoit environ 2 €; l’auteur environ 1 € (10% du prix HT du livre) voire moins (on a essayé deux fois de me faire signer un contrat d’auteur à 8%, j’ai refusé les deux fois); le reste c’est la fabrication du livre et la TVA. On voit que l’auteur est celui qui perçoit le moins alors que c’est lui qui crée l’oeuvre au coeur de toute l’économie du livre. Pour résumer d’une manière un peu brutale : toute la filière du livre se nourrit sur son dos.

 

Bien sûr, Internet est en train de modifier ces équilibres. D’une part l’auteur a dorénavant la capacité de s’exprimer directement sans intermédiaires, même si évidemment cela se fait avec moins de force que ce merveilleux objet jusqu’ici jamais dépassé qu’est le codex, le livre relié en papier. D’autre part, on peut mettre sur pieds aujourd’hui des (petites) maisons d’édition autonomes par rapport à l’économie traditionnelle du livre, qui peuvent faire l’impasse sur la diffusion/distribution, et même sur la librairie, sans stocks, avec impression à la demande, ou même avec des livres dématérialisés, des fichiers numériques PDF à lire sur écran comme le fait Publie.net dont l’énorme catalogue est une vraie mine pour un lecteur curieux.

 

Mais si on fait l’impasse sur la librairie et la distribution, alors d’autres problèmes surgissent : par exemple, moi en tant que lecteur j’ai un besoin absolu de vraies librairies, sinon je ne sais pas quoi lire parmi les nouveautés (la vente en ligne se contente de t’offrir les titres que tu cherches, elle est incapable de te faire des propositions de lecture). Concrètement, j’ai besoin d’avoir à côté de chez moi un vrai libraire qui reçoit, trie et lit les nouveautés pour me les signaler. Seule la librairie réelle, physique, avec des tables et des livres papier posés dessus, offre ce service au lecteur. Et également, en tant qu’auteur, je sais que ce sont les libraires qui font vendre mes livres, et non les articles de presse. Donc les librairies sont indispensables, mais justement ces librairies, qui gèrent à la fois les nouveautés et les commandes des clients, elles ne peuvent recevoir et retourner les livres que si le diffuseur/distributeur existe. On voit que rien n’est simple...

 

Pourquoi as-tu eu envie de changer de cap en te consacrant désormais, sur ton blog « Ce métier de dormir », à la lecture de tes contemporains et à ton travail d’écriture ?

 

J’ai évolué. Sur une période de deux ou trois ans on change. Il y a aussi d’autres blogs que je lisais et qui m’ont inspiré et ont déteint sur le mien. Je pense notamment aux blogs de François Bon, Emmanuelle Pagano, ou Chloé Delaume.

 

Dans Je suis une surprise, récit publié aux éditions Atelier In8, tu reviens sur ton enfance, ton adolescence et les choix qui t’ont poussé à devenir écrivain « à plein temps ». Tu n’es publié que depuis 2005 et tu confesses avoir vécu à une époque avec les minimas sociaux. N’as-tu jamais douté ?

 

J’ai cherché un éditeur pour mon premier livre pendant 18 ans, puis ensuite il m’a encore fallu 3 ans pour le deuxième, donc tu vois le contexte... Je n’ai jamais douté une seule seconde, si j’avais douté j’aurais abandonné. C’est comme un avion, il ne peut pas arrêter de voler, sinon il tombe.

 

Comment as-tu eu l’idée de t’adresser aux éditions de l’Atelier In8 ?

 

Ce sont eux qui se sont adressés à moi, c’est une commande du directeur de collection, Claude Chambard, qui habite Bordeaux comme moi, et me connaissait comme auteur bordelais après mon premier livre. Il lançait une nouvelle collection chez In8, donc il lui fallait des manuscrits et il contactait les auteurs. J’ai écrit un texte sans aucune garantie qu’il soit accepté, mais heureusement cela a plu à Claude qui l’a publié.

 

Dans un billet daté du 18 avril 2009, tu évoques le fait que tu as besoin de temps pour écrire. Comment organises-tu tes journées ?

 

Oui, je travaille hélas très lentement. Je n’écris que le matin, mais tous les matins, de 9h à 12h. Je ne sors pas de la matinée et mes proches savent que je « travaille », qu’il ne faut pas me déranger. Evidemment, des fois ce que j’ai écrit est nul, mais je m’y remets quand même à nouveau chaque matin. L’après-midi je ne travaille pas, et le soir depuis quelques mois j’écris mon carnet, un objet bizarre constitué de notes quotidiennes.

 

Tu as un blog, un site et tu écris des récits édités sur Publie.net et dans l’édition traditionnelle. Comment relies-tu tes différentes activités ?

 

Tout s’organise de façon très naturelle.

 

Le carnet que je fais chaque soir avant de me coucher, et que je mets en ligne aussitôt, est une sorte de cahier de brouillon, de calepin, une photographie quotidienne du cerveau. Ca n’est pas un texte continu, tout au plus des fragments.

 

Le roman, lui, est un travail pensé, un projet sur six mois minimum, avec un plan général, un but, qui produit un texte complexe qui mérite pour être bien lu d’être individualisé et mis en valeur de la façon la plus efficiente : dans un livre papier, et c’est là qu’il faut un grand éditeur traditionnel, qui va offrir son savoir-faire, à commencer par son travail sur le texte lui-même (par exemple, le travail impressionnant des correcteurs de Gallimard, avec des étapes successives de passage au crible du texte).

 

Enfin, j’écris certains textes, soit trop courts, soit trop longs (par exemple j’ai environ 600 pages de courts récits écrits dans les années 2001-2003 et inédits), soit pas aboutis et qui pourtant ont besoin d’être rendus publics, même avec leurs défauts. Il y a aussi des articles parus en revue, ou des chroniques sur des livres, et c’est là qu’Internet a un rôle à jouer. Il y a donc Publie.net, la maison d’édition de François Bon, qui publie des livres numériques, avec un niveau de correction et de typographie équivalent à une maison d’édition traditionnelle. Il y a aussi mon site web personnel, sur lequel j’ai une page « Textes » qui propose en téléchargement gratuit (mais je reste propriétaire du droit d’auteur, on ne peut pas redistribuer ces textes sans mon accord) des textes plus ou moins longs, et même un roman inédit écrit en 2006.

 

Dans chacun de tes textes, le « je » est à l’honneur… Dirais-tu que tu écris une œuvre autofictive ?

 

Oui, même si le terme lui-même, « autofiction », ne me satisfait pas, c’est bien dans cet univers-là que j’évolue : je raconte ma vie, elle est le matériau, comme la corbeille de fruits pour les peintres de natures mortes. Je suis à la fois l’acteur et le spectateur.

 

Qu’est-ce qui, véritablement, t’a donné envie d’écrire ce récit, Je suis une surprise ? Comment as-tu sélectionné tes souvenirs  et comment as-tu bâti ton texte ?

 

C’était une commande. Le sujet de la collection « Alter & Ego » des Editions Atelier In8, à laquelle se destinait ce texte, est plus ou moins : parlez de votre Autre préféré : un grand artiste, un personnage historique, un héros de série télé, etc. J’ai choisi de parler de moi en tant qu’étranger et inconnu à moi-même.

 

Sur la méthode d’écriture, c’est tout le sujet du livre : chacun d’entre nous a des souvenirs mais il ne sait pas les utiliser. Le narrateur, moi, mais ce pourrait être n’importe qui, ferme les yeux et essaie de trier parmi les images qui lui apparaissent, afin de garder de sa vie les passages qui font sens et qui seuls peuvent expliquer son présent. Le livre est inspiré par les Essais de Montaigne : qui suis-je, que sais-je sur moi ? L’expérience de lecture, si le livre est réussi, doit produire un questionnement philosophique.

 

T’es-tu fixé des limites ?

 

Oui, éviter de porter préjudice aux autres.

 

 

As-tu de nouveaux projets en cours ?

 

Pour l’instant, j’ai un nouveau roman qui sort bientôt chez Gallimard, L’homme pacifique, et dont je dois assurer la promotion, tout faire pour qu’il soit lu. Ensuite, au niveau des projets strictement littéraires, je vais continuer de travailler sur un roman, presque terminé dans sa première version. Le sujet ? Ce sera une surprise.

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29 mars 2009 7 29 /03 /mars /2009 11:28

Vendredi, j’avais rendez-vous dans un hôtel, à deux pas du Panthéon, avec Edgar Hilsenrath, l’auteur de Fuck America, accompagné de son traducteur Jörg Stickan et de son éditeur, Benoît Virot. Agé de 83 ans, Edgar Hilsenrath a connu les ghettos durant la guerre, l’exil en Israël puis aux Etats-Unis. Aujourd'hui, il vit en Allemagne. Son parcours éditorial est également chaotique : après avoir été boycotté par son propre pays parce qu’il proposait une vision trop burlesque et trop crue de la Shoah, c’est aux Etats-Unis qu’il connaît le succès en premier lieu. Depuis, l’auteur est auréolé de prix et reconnu internationalement.

Rencontre.

 

Votre narrateur exprime clairement qu’il n’a pas aimé les Etats-Unis, d’où le titre Fuck America. Pourquoi avez-vous tant détesté ce pays ?

Les Américains étaient trop superficiels et matérialistes. J’avais beaucoup trop de problèmes avec les femmes qui étaient trop chères. Je voulais dénoncer la mentalité, l’avidité. On était accroc à l’argent aux Etats-Unis. On était jugé par rapport à ce qu’on gagnait et ce qu’on possédait.

 

Le rêve américain était donc une illusion ?

De toute façon pour moi, il n’était pas question du rêve américain, je n’avais ni argent, ni femme ni rien. Donc je n’y pensais même pas.

 

Vous auriez pu y parvenir en essayant de vous faire éditer par le biais d’un agent…

Ce n’était pas possible ! Personne ne me connaissait ! Je n’étais qu’un écrivain crève-la-faim.

 

Mais alors comment avez-vous pu être publié aux Etats-Unis ?

C’est en effet un agent américain qui a placé Nuit puis Le Barbier et le Nazi chez un éditeur. Mais d’abord ces livres ont été publiés en Allemagne en très petits tirages et étaient pour ainsi dire boycottés par l’éditeur lui-même. Pour remplir son contrat, il a publié au minimum et a envoyé la moitié des livres aux journalistes. Une fois les livres épuisés, il ne les a pas réédités. Par contre, Nuit a été publié ensuite aux Etats-Unis grâce à un agent. C’est l’éditeur allemand qui le lui a soumis. L’agent a casé le livre et Nuit est revenu en Allemagne grâce à une recommandation d’un grand journal germanophone aux Etats-Unis  qui en a parlé à un éditeur allemand. C’est là que le livre a connu du succès en Allemagne.

[Précision du traducteur : Fuck America est le seul livre qui n’est pas traduit en anglais].

 

Est-ce que ce succès a changé quelque chose pour vous ?

Au début, il y avait beaucoup de réactions dans la presse mais pas je ne faisais pas de best-sellers. Ensuite quand ça a marché, ma vie n’a en rien changé. D’un point de vue international, ce sont des best-sellers. J’ai pu vivre grâce à mes livres, mais ma vie est restée exactement la même…

 

Vous faites dire  Jakob Bronsky dans Fuck America qu’il ne se sent pas Allemand car les écrivains germaniques manquent d’humour. Est-ce vrai ?

Oui, c’est vrai ça !

 

Vous sentez-vous appartenir à un pays ?

Ma patrie est dans ma tête. Mais, je ne me reconnais que dans la langue allemande.

 

Vous faites également référence à Kafka et à Remarque dans ce livre, auteurs que vous admirez, je crois.

Remarque m’a enthousiasmé par rapport à son talent, ses dialogues très concis et sa manière de rendre l’atmosphère. J’étais tellement impressionné en pensant au roman Arc de triomphe que je me suis mis à écrire Nuit.

 

Pourquoi cette référence à Max Brod à la fin du roman ?

Max Brod, je le connaissais comme écrivain. Quand j’étais en Israël, j’ai appris qu’il vivait à Tel-Aviv et je lui ai écrit une lettre. Il m’a répondu une lettre très longue. Dans sa réponse, il me répond que si je veux devenir écrivain, il faut d’abord que je fasse de profondes études littéraires. C’était une réponse assez décourageante. Pour moi, mes études c’était la vie.

 

Votre livre est une sorte de mise en abyme : vous racontez l’histoire de Bronsky qui raconte ses périples pour écrire son livre, qui s’avère être en fait votre premier roman autobiographie, Nuit. Comment avez-vous procédé pour composer votre roman ?

Pour moi, c’est un livre à moitié autobiographique, et l’autre moitié est fictive. J’ai écrit de façon très spontané mais comme mon narrateur, j’écris en pensant de chapitre en chapitre. Chaque chapitre est une sorte d’épisode mais il y aune structure de l’ensemble. Un roman ne s’écrit pas en un jour. J’ai écrit Fuck America en 6 semaines.

[Précision du traducteur : Edgar Hilsenrath prend toujours de très longues pauses entre ses romans pour laisser germer les idées mais une fois que la structure est en place et qu’il sait exactement ce qu’il veut écrire, la rédaction va très vite].

 

Ecrivez-vous en ce moment ?

J’ai un projet… Mon dernier roman remonte à deux ans… Mon prochain roman portera encore sur le thème de la mémoire : la seconde Guerre mondiale vue du point de vue de deux enfants.

 

Pourquoi vos premiers livres ont-ils été ainsi boycottés en Allemagne ?

Dans les années 60, on ne pouvait parler des juifs que comme des victimes innocentes et pures. Les temps changent. Dans Nuit, les juifs ne sont pas nobles mais sont  de misérables créatures qui survivent comme elles peuvent.

 

Les éditions Attila prévoient de publier Le Barbier et le Nazi en 2010 et Nuit en 2011. Pouvez-vous m’en parler ?

[Réponse de Jörg Stickan] Pour faire une bonne entrée en matière avec toutes les obsessions d’Edgar Hilsenrath, on a pensé que c’était mieux de commencer par Fuck America pour remonter plus facilement dans le temps. Par ce mode de publication à l’envers, on essaie de montrer comment Edgar Hilsenrath a tenté de bâtir son œuvre.

Le Barbier et le Nazi est une satire terrible sur deux enfants, un goy et un juif. Le goy va devenir un nazi, exécuteur dans un camp de concentration où il massacre entre autres en masse la famille du barbier et après la guerre il revient et est recherché comme criminel de guerre. Il part à Berlin se faire circoncire pour se faire passer pour l’autre, le juif, qu’il a tué. Et ce faisant, il endosse la cause juive, voire sioniste. Il part en Israël. Du nazi, massacreur, il devient juif militant. C’est un roman hilarant, troublant que je rapproche étrangement du roman Tambour de Günter Grass. Edgar insiste beaucoup sur le fait que c’est le premier roman qui parle de la Shoah du point de vue du coupable et non Jonathan Littell !

 

Nuit est un pavé énorme. La critique principale à l’époque était qu’il montrait les juifs sous un mauvais jour parce qu’on ne voit pas les bourreaux. Les juifs sont laissés à l’abandon dans des ghettos. Ils violent, volent... Comme on ne mettait pas leurs actes en perspective avec ceux des bourreaux, ce n’était pas acceptable. Il y a une scène où un type est tué. On défense sa gueule pour lui voler ses dents en or. Tout ça est raconté de manière très distante. Ce qui n’était pas acceptable.

 

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